
Varanasi est ici bas, comme passerelle entre la vie de souffrance de dévots dévoués et le paradis ultime là-haut, nirvana des dieux couleurs arc en ciel. Benares l’immortel, voit défiler chaque jour, une marée de pèlerins venus s’acheter une place au paradis, promesse de cette ville sainte, promesse de libération de samsara (cycle de réincarnation).
J’ai parcouru ses ruelles tortueuses, d’un pas incertain entre saris hésitants, marchant entre pandits, punaris (prêtre du temple), et pandas (prêtre des pèlerins) dans de sombres recoins, célébrant en rituel éternel Krishna, qui se tient en Tribhanga. Je me laisse guider plus bas grâce à un Vyasa (conteur de la tradition hindou) qui me chante des contes ésotériques le long du Gange et je descends les marches des Ghats vers le fleuve comme parcourant le symbole du cycle répétitif de la vie et de la mort.
Je me laisse séduire à mon tour par le moksha (libération de l'âme), promesse de transcendance et de liberté et je contemple le Gange. Sombre comme le Styx, il guide ces poussières décomposées, cendres de jivan muktas (yogi illuminé) et âmes repenties, vers non pas l’enfer grec mais un paradis hindou.
Plus loin, j’entends qu’on crie la grandeur de Shiva, une bande de jeunes aux cous décorés de guirlandes fleuries, venant d’un ashram sans jardin, se jettent tout habillés dans les eaux saintes du Gange afin de se purifier et d’aimer leur mère Ganga.
Un Sadhu s’est assis à mes côtés, sa quête de spiritualité en arrêt momentané, prend quelques minutes pour me guider, et me dit de ne pas visiter la cité avec mes yeux. Aveugle, je l’entends, et comprends que Varanasi se visite avec son coeur, son âme, son troisième oeil, mais n’étant pas cyclope, j’écoute alors. Et je vois une mélodie couleur de paix, le battement de coeur de l’Uttar Pradesh comme un hymne de bansuri, les rires des enfants, les vaches qui batifolent dans l’eau du fleuve, l’écho des cloches en cuivre qui ponctue les pujas du soir, des carillons de rickshaws qui jouent leur musique et animent le quotidien spirituel de mes amis hindous.
Varanasi se transforme en mélodie, celle qui apaise, celle qui transcende, celle qui guide votre âme en dehors de votre corps charnel, pour célébrer ses eaux, sa force et sa lumière.
Je me prête au jeu et je vis ses règles, toujours les yeux fermés, et sans écraser les cadeaux fertilisants de nos amis bovins, j’adopte cette vie de va-nu-pieds. Tel un sadhu, détaché du monde, couvert de cendre et fumant du hasch, je plane sur la fumée des corps qui crépitent sur les buchers funéraires du Ghat de Manikarnika.
Je me suis laissé perdre à Varanasi, j’ai emprunté sa voie pour un moment, celle qui nous guide ailleurs, vers une expérience d’une piété profonde, et j’ai rêvé de moi, moi seul, perdu dans mon samsara chantant “Om Namo Bhagavate Vasudevaya”.







































